
La consommation énergétique des laboratoires de recherche est un enjeu majeur dans la transition écologique. Les laboratoires scientifiques – et en particulier les laboratoires de chimie – sont connus pour être beaucoup plus énergivores que les bâtiments tertiaires classiques. Ils abritent de nombreux équipements fonctionnant en continu et requièrent souvent un contrôle strict du climat intérieur, ce qui entraîne d’importantes dépenses d’électricité et de chauffage.
Les salles blanches (laboratoires à atmosphère contrôlée) illustrent les exigences énergétiques extrêmes en laboratoire : ces environnements nécessitent des systèmes très gourmands en énergie pour réguler la température, la pression et le taux d’humidité, tout en évitant la moindre contamination particulaire. De manière générale, les laboratoires consomment beaucoup plus d’énergie par mètre carré qu’un bâtiment classique : typiquement 5 à 10 fois plus qu’un immeuble de bureaux de taille équivalente, un écart pouvant même grimper jusqu’à 100 fois dans les cas de laboratoires très spécialisés (par ex. avec salles blanches ou équipements lourds). En conséquence, les sites de recherche représentent une part disproportionnée de la consommation énergétique du secteur tertiaire : on estime que les laboratoires peuvent représenter 60–65 % de la consommation totale d’énergie d’une université, malgré une superficie bien moindre. La ventilation intensive des locaux explique en partie cet écart : les débits d’air dans les labos sont de 2 à 10 fois supérieurs à ceux de bureaux ordinaires, et le conditionnement/renouvellement d’air y constitue souvent le premier poste de dépense énergétique.
Chiffres clés en France
En France, les laboratoires de recherche consomment des volumes d’énergie considérables. Par exemple, le CNRS (principal organisme public de recherche) a consommé environ 298,9 GWh d’énergie en 2019 sur l’ensemble de ses bâtiments et installations. Fait marquant, seulement 8 laboratoires ou infrastructures parmi les plus énergivores cumulaient plus de 40 % de la consommation électrique totale du CNRS. Cela s’explique par la présence de grands équipements scientifiques très gourmands (supercalculateurs, grandes installations expérimentales, etc.). Face à ces niveaux de consommation, les pouvoirs publics ont fixé des objectifs ambitieux : la stratégie nationale prévoit une réduction de 40 % d’ici 2030 (et 50 % d’ici 2040) de la consommation d’énergie finale des bâtiments de recherche par rapport à 2010, avec un palier intermédiaire de -10 % dès 2024 par rapport à 2019. Le CNRS a décliné ces cibles dans un plan de sobriété énergétique, combinant suivi des usages, travaux d’amélioration et sensibilisation des personnels.
Principaux postes de consommation énergétique en laboratoire
Les laboratoires de chimie tirent leur consommation d’énergie de plusieurs postes principaux. Les études récentes (en France et à l’international) permettent de quantifier les contributions de ces postes :
Ventilation et hottes aspirantes
C’est souvent le premier poste de dépense énergétique dans un laboratoire. L’air des sorbonnes (hottes chimiques) et le renouvellement d’air constant exigent de puissants ventilateurs et un conditionnement thermique de l’air entrant. On estime que la ventilation peut représenter ~40 à 60 % de la consommation énergétique totale d’un labo selon le domaine scientifique. À titre d’illustration, chaque hotte aspirante à extraction peut consommer à elle seule environ 3,5 fois l’électricité d’une maison moyenne. Harvard University a évalué que 44 % de l’énergie d’un laboratoire est liée à la ventilation (hottes et HVAC), ce qui se traduit par environ 4 100 € par an et par hotte en coût d’électricité.
Froid (congélateurs et chambres froides)
Les appareils de stockage à froid (en particulier les congélateurs ultra-basse température à -80 °C, très utilisés en chimie et biologie) sont extrêmement énergivores. Un seul congélateur « -80 » consomme typiquement 20–25 kWh par jour, soit autant d’électricité qu’un foyer entier (~2,7 fois la consommation moyenne d’une maison). L’ensemble des unités de froid (congélateurs -80°C, réfrigérateurs, chambres froides) contribuent significativement à la dépense énergétique du labo. Par comparaison, même un congélateur standard à -20 °C ou une enceinte de sécurité biologique peuvent chacun consommer environ 50 % de l’électricité d’un foyer. Ce poste froid est donc un contributeur majeur, bien qu’il soit souvent inclus dans la catégorie des équipements de laboratoire.
Appareils et instruments scientifiques
Ce poste regroupe les équipements électriques de laboratoire (hors froid et ventilation) tels que les appareils d’analyse, pompes, agitateurs, étuves, spectromètres, autoclaves de stérilisation, etc. D’après des rapports internationaux, ces appareils représentent généralement 20 à 50 % de la consommation électrique d’un laboratoire (variable selon le type de labo). Par exemple, un autoclave en fonctionnement, un evaporateur rotatif, ou une pompe à vide peuvent consommer plusieurs kWh chaque heure d’utilisation. Sur l’année, la consommation cumulée des équipements branchés (« plug load ») d’un laboratoire de chimie peut avoisiner 15–25 % du total (plus dans un labo de biologie). À noter que l’éclairage des locaux, bien que non négligeable, ne contribue qu’à une fraction plus modeste de la consommation globale (souvent autour de 5–10 %, jusqu’à ~15 % maximum dans certains cas).
Chauffage et climatisation des locaux
Le chauffage des pièces en hiver et la climatisation en été constituent un autre volet de dépense énergétique. Dans les bâtiments de laboratoire récents, l’isolation thermique et les systèmes performants visent à réduire ce poste, mais il reste significatif : environ ~20 % de la consommation totale en moyenne serait attribuable au chauffage (et refroidissement) de l’air ambiant dans les labos. Ce ratio peut augmenter dans des bâtiments anciens mal isolés ou en cas d’utilisation d’appareils dissipant beaucoup de chaleur (qui obligent à climatiser davantage). Par ailleurs, le chauffage est étroitement lié à la ventilation dans la mesure où l’air renouvelé doit être réchauffé ou refroidi en continu – d’où l’impact très lourd des hottes sur la facture de chauffage également. Par exemple, il a été estimé qu’une sorbonne chimique peut entraîner plusieurs dizaines de milliers d’euros de dépense annuelle en chauffage/climatisation à cause de l’air qu’elle extrait du bâtiment.
Pistes de réduction de la consommation énergétique des labos
Face à ces constats, de nombreuses actions et bonnes pratiques sont mises en œuvre ou recommandées pour réduire la consommation d’énergie des laboratoires sans compromettre la recherche. Voici les principales pistes suivies récemment, avec des exemples chiffrés à l’appui :
Optimisation de la ventilation et des hottes
Fermer les hottes aspirantes lorsqu’elles ne sont pas utilisées est l’un des gestes les plus efficaces et immédiats. Abaisser la guillotine d’une hotte permet de réduire son débit d’air et donc sa consommation de 40 à 67 % environ, tout en améliorant la sécurité. Des campagnes de sensibilisation ont été menées sur ce point : par exemple, à Harvard, un programme encourageant la fermeture systématique des sorbonnes a permis d’économiser 183 000 € d’énergie par an. De même, à l’Université de Groningen (Pays-Bas), une initiative récente a consisté à éteindre 8 hottes sur 12 dans un vieux bâtiment de chimie peu utilisé : sur un an, cette mesure a entraîné au moins 48 000 € d’économies d’électricité et 200 000 € de chauffage Outre la fermeture manuelle, l’installation de hottes à volume d’air variable (VAV), de capteurs de présence et de dispositifs automatiques de fermeture permet d’ajuster le débit d’air au plus près des besoins et d’éviter le gaspillage. Enfin, repenser le renouvellement d’air général des laboratoires (par exemple réduire le taux de ventilation la nuit ou dans les locaux inoccupés) offre un potentiel notable d’économies.
Gestion intelligente du froid scientifique
Les congélateurs ultra-basse température et autres stockages frigorifiques peuvent faire l’objet d’actions simples pour réduire leur empreinte. Deux ONG (I²SL et My Green Lab) ont même lancé le Laboratory Freezer Challenge, un défi international incitant les labos à optimiser leurs stockages froids. D’après les organisateurs, plus de 170 laboratoires participants ont pu économiser 1,6 million de kWh d’électricité en 2018 (soit ~1 200 tonnes de CO₂ évitées) grâce à de meilleures pratiques. Concrètement, plusieurs mesures sont préconisées : dégivrer régulièrement les congélateurs (un givre épais augmente la consommation – le dégivrage peut faire gagner ~10 % d’efficacité énergétique) ; remonter la consigne de -80°C à -70°C lorsque c’est possible (gain d’environ 30–40 % sur la consommation sans impact significatif sur la plupart des échantillons); retirer les échantillons obsolètes ou en double pour pouvoir regrouper le stockage et débrancher les appareils inutiles ; et remplacer les vieux congélateurs par des modèles plus récents et économes (jusqu’à 50–70 % d’économie d’énergie pour les meilleures technologies modernes). Certaines unités en France ont déjà appliqué ces conseils : par exemple, dans plusieurs laboratoires du CNRS on a testé le passage des congélateurs de -80°C à -70°C sans incidence sur l’activité scientifique. De plus, des capteurs de température et alarmes peuvent être installés pour mieux gérer ces appareils (éviter les ouvertures prolongées, surveiller les fluctuations anormales, etc.).
Mutualisation et rationalisation des équipements
Un levier important consiste à mutualiser les appareils les plus énergivores entre équipes ou plateformes, afin d’en réduire le nombre total en service. Le CNRS recommande par exemple de partager les congélateurs, réfrigérateurs ou autoclaves entre laboratoires quand c’est envisageable, ces appareils étant très consommateurs d’énergie. Plutôt que chaque équipe ait son équipement sous-utilisé, la mise en commun permet d’optimiser le taux d’utilisation des appareils existants et d’éteindre ceux qui font doublon. Par ailleurs, il est conseillé d’éteindre systématiquement les instruments, ordinateurs, pompes et autres appareils non essentiels en dehors des périodes d’utilisation (nuits, week-ends). Des minuteries (timers) ou prises programmables peuvent aider à couper certains équipements pendant les plages d’inactivité. Dans certains laboratoires, on peut aussi regrouper les expériences à haute consommation sur certaines plages horaires (par ex. lancer les réactions chauffantes le jour plutôt que de nuit) pour pouvoir abaisser les systèmes le reste du temps. L’ensemble de ces bonnes pratiques de gestion peut apporter des économies significatives sur la durée, sans investissement lourd.
Améliorations des bâtiments et sensibilisation
Au-delà des gestes techniques, une meilleure gestion des bâtiments de recherche est cruciale. Un suivi précis des consommations par poste permet d’identifier les dérives : le CNRS déploie ainsi un plan de comptage avec sous-comptages pour analyser l’usage énergétique de chaque bâtiment et optimiser au cas par cas. De même, des actions de sobriété immobilière ont été mises en place lors de la crise énergétique de 2022 : certaines universités ont baissé le chauffage de quelques degrés dans les labos en hiver, ou fermé temporairement des locaux non critiques pendant les vacances pour éteindre totalement les équipements. Il a également été décidé dans des laboratoires de couper la production d’eau chaude sanitaire dans les bâtiments où elle n’est pas indispensable (lavabos, douches), afin d’économiser le gaz ou l’électricité des chaudières Sur le plan technologique, les organismes investissent dans l’amélioration de l’efficacité énergétique du parc immobilier (isolation, renouvellement des systèmes CVC) et dans des solutions innovantes. Par exemple, le CNRS encourage la récupération de la chaleur « fatale » issue des équipements : la chaleur produite par son supercalculateur Jean Zay sera récupérée pour chauffer et refroidir le campus Paris-Saclay avoisinant. Enfin, le recours à des énergies renouvelables (panneaux solaires sur les toits, achats d’électricité verte) est en progression dans les établissements, afin de réduire l’empreinte carbone des labos tout en diversifiant les sources d’énergie.
Formation et changement de culture
La transition énergétique des labos passe aussi par la sensibilisation des chercheurs, ingénieurs et techniciens aux éco-gestes quotidiens. Des initiatives locales se multiplient pour intégrer la culture de la sobriété dans les pratiques de laboratoire. Cela inclut l’affichage d’éco-gestes (stickers rappelant de fermer la hotte, d’éteindre la lumière ou les appareils, etc.), le partage des retours d’expérience réussis (par exemple les économies réalisées lors du Freezer Challenge ou d’autres concours internes), et la valorisation des laboratoires écoresponsables. Des collectifs comme Labos 1point5 en France encouragent les laboratoires à réaliser leur bilan carbone et à identifier leurs principaux postes d’émissions afin de les réduire. Ce mouvement de fond, combiné aux efforts institutionnels, vise à ancrer durablement les pratiques de sobriété énergétique dans la communauté scientifique.
En résumé, les laboratoires de chimie présentent des consommations d’énergie très élevées – en particulier à cause des hottes aspirantes, du froid et des appareils – mais des solutions existent. Les chiffres récents montrent l’ampleur du défi (une hotte = plusieurs foyers, un seul bâtiment de recherche = des dizaines de fois un bâtiment tertiaire standard) et soulignent l’urgence d’agir. Grâce à des mesures ciblées (optimisation de la ventilation, gestion du froid, amélioration des équipements et des bâtiments, sensibilisation), il est possible de réduire de 30 à 50 % la consommation énergétique de nombreux labos existants selon les experts, tout en maintenant une recherche de qualité. Cet effort de transition énergétique dans les laboratoires s’inscrit pleinement dans les objectifs nationaux et internationaux de lutte contre le changement climatique, et il offre en outre des co-bénéfices en réduisant les coûts de fonctionnement et en améliorant la sécurité et l’efficacité de la recherche au quotidien.
Sources :
- CNRS (2023), Plan de transition énergétique – performance énergétique des bâtiments : https://www.cnrs.fr/fr/plan-de-transition-energetique-du-cnrs
- Weill Cornell Medicine (2023), Lab Energy Consumption Statistics : https://green.weill.cornell.edu/green-labs
- My Green Lab (2021), Be Good in the Hood – Shut the Sash Campaign : https://www.mygreenlab.org/shut-the-sash.html
- Harvard University (2023), Fume Hood Energy Reduction: Shut the Sash : https://green.harvard.edu/tools-resources/fume-hood-energy-reduction
- GreenBiz / My Green Lab (2021), How My Green Lab is Cleaning Up R&D : https://www.greenbiz.com/article/how-my-green-lab-cleaning-rd
- I²SL & My Green Lab (2021), Laboratory Freezer Challenge – Results & Impact : https://www.freezerchallenge.org/
- My Green Lab (2021), Top 9 Actions to Take in the Lab to Improve Energy Efficiency : https://www.mygreenlab.org/blog/top-9-actions-to-take-in-the-lab-to-improve-energy-efficiency
- Labos 1point5 (2024), Bilan carbone et transition énergétique des laboratoires : https://labos1point5.org/
- Université de Groningen (2022), Energy Savings through Fume Hood Management : https://www.rug.nl/research/
- EPA (2023), Energy Star for Laboratories – Energy Use and Best Practices : https://www.energystar.gov/buildings/facility-owners-and-managers/existing-buildings/save-energy/commercial-buildings-energy-efficiency
- I²SL (2023), Best Practices for Energy-Efficient Laboratories : https://www.i2sl.org/
- CNRS (2022), Sobriété énergétique et mutualisation des équipements : https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/sobriete-energetique-et-mutualisation-des-equipements
- My Green Lab (2023), Laboratory Equipment Plug Load Management : https://www.mygreenlab.org/
- Harvard University (2022), Office for Sustainability – Lab Energy Management : https://green.harvard.edu/
- University of California Davis (2023), Green Labs Energy Saving Guide : https://sustainability.ucdavis.edu/
- CNRS (2023), Réduire la température des congélateurs à -70°C : retour d’expérience : https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/transition-energetique-congelateurs
- My Green Lab (2023), Laboratory Sustainability Certification Program : https://www.mygreenlab.org/certification.html
- ADEME (2023), Énergie et recherche publique : pistes de réduction : https://www.ademe.fr/
- Nature (2023), Laboratory Energy Use and Sustainability Practices : https://www.nature.com/articles/d41586-023-01351-5
- European Commission JRC (2023), Energy Efficiency in Research Infrastructures : https://joint-research-centre.ec.europa.eu/